Métavers. Ce mot envahit les esprits et fait couler beaucoup d’encre depuis que Facebook a décidé de changer de nom pour s’appeler Méta. Pour tenter d’y voir clair, nous avons demandé à Romain Liquard, en veille sur les nouvelles technologies aux Études économiques de Crédit Agricole SA, de dissiper quelques brumes.
Le terme « métavers » (en anglais, metaverse) résulte de la contraction de « méta », qui exprime la succession, le changement, la proximité et, en philosophie et dans les sciences humaines, ce qui dépasse, englobe, et d’« univers ». Le métavers est donc un univers qui va au-delà de celui que nous connaissons : un monde virtuel. Des spécialistes et des cabinets de conseil s’accordent sur la définition suivante : le métavers est un espace créé par convergence de la réalité physique et numérique et augmenté virtuellement. Prenons un exemple. Une société crée un espace virtuel conçu comme un jeu. Nous y circulons grâce à un avatar qui nous représente virtuellement. Il est tel que nous l’avons créé, donc pas forcément conforme à la réalité. Il circule dans le « jeu » comme dans la vraie vie et interagit avec d’autres avatars : nous nous parlons, nous échangeons des informations et des biens numériques. L’éditeur va nous proposer de revêtir réellement une combinaison de motion capture qui va dupliquer, dans l’espace virtuel, nos mouvements et nos émotions. Il capte cette donnée du réel et l’emmagasine pour nous proposer de continuer à faire vivre notre avatar après notre propre mort : on peut alors véritablement parler d’espace virtuel persistant.
La plupart des entreprises qui développent un métavers veulent offrir une expérience immersive améliorée, dont la qualité est très variable selon les projets. Leur accès diffère : via un ordinateur ou un casque à réalité virtuelle. Avec la blockchain, les espaces virtuels se sont transformés. Nous pouvons y faire beaucoup plus de choses, notamment être propriétaires de biens numériques (actifs non fongibles : NFT), comme dans la vraie vie. Des mondes accueillent les entreprises, comme Decentraland, The Sandbox ou encore Roblox. Celles-ci y achètent un terrain, y construisent leur espace en se faisant aider par des prestataires de services. Mais Decentraland est un cadastre ; loin d’être intuitif, son expérience utilisateurs est même… catastrophique.
Pour une entreprise, il s’agit de réinventer la relation avec ses clients en les embarquant dans un univers différent. Faire ses courses dans le métavers apportera au consommateur une expérience numérique supplémentaire. Cela participera au rayonnement de la marque, en lui donnant une forte dimension d’innovation. Le marché du métavers fait pleuvoir les dollars. Les industries y voient des « océans bleus », c’est-à-dire de nouveaux environnements, donc de nouveaux marchés, de nouvelles sources de profit et de croissance. Certains évaluent la métanomie (l’économie du métavers) à 800 Md$, d’autres à 12 500 Md$… Aucun métavers inclusif ou à très forte utilité sociétale n’est recensé à l’heure actuelle.
Chaque société développe son propre espace. Quand l’une des plus grandes devient Méta, les autres craignent de voir à terme la majorité de la population rejoindre le métavers de Méta. Cela fait également peur aux États, car ses univers virtuels ne sont absolument pas contrôlés. Tout ce qui existe sur les réseaux sociaux peut donc s’y retrouver, la réalité du physique en plus, via les avatars… Un monde sans foi, ni loi. Se retrouvera-t-on dans la même situation que les hébergeurs de sites Internet : je ne suis pas responsable de ce que j’héberge ? Nul ne le sait. La première législation européenne sur les services numériques en date d’avril dernier, le Digital Services Act, pose le principe selon lequel ce qui est illégal hors ligne doit également être illégal en ligne.
Que pourrait-elle y faire ? Acheter un terrain virtuel dans Decentraland ou The Sandbox bien sûr, mais pour quelle finalité ? Demain, le poste de travail du banquier sera-t-il totalement virtualisé ? Verra-t-on les néo-banques ou les banques en ligne, qui embarquent des clients biberonnés aux nouvelles technologies et aux révolutions d’usage se mettre à ouvrir des agences virtuelles ? Cette stratégie pourrait-elle aussi avoir du sens pour les acteurs traditionnels ?
Développer un métavers requiert de maîtriser les univers du jeu, du design, c’est de l’entertainment : il est plus logique de voir Méta le développer plutôt qu’une banque. En revanche, celle-ci pourrait en devenir un prestataire de service. Par exemple, dans le jeu virtuel Horizon Worlds, développé par Méta, des créateurs de contenu peuvent y proposer des actifs non fongibles contre une commission de 47,5 %… Si une entreprise considère que, demain, la réalité virtuelle se développera massivement, elle a intérêt à y engager ses clients et ses collaborateurs.
De fait, les espaces virtuels répondent à la demande de communautés qui cherchent constamment à se retrouver et à interagir. Avec la crise sanitaire, nous avons appris à concrétiser ce lien à distance.
Quelle place occuperont les métavers dans nos vies ? Qui les contrôlera ? Quelles lois les régiront ? Autant de questions posées face à une forme d’infini. Parvenir à l’immortalité numérique, grâce à des captations de données phénoménales, est un pas vers le transhumanisme, dont Mark Zuckerberg, le fondateur de Méta, ou bien Elon Musk, créateur de Tesla et de Space X, sont des ardents promoteurs. « Chez les auteurs de science-fiction, il y a toujours un monde à la dérive, développe Romain Liquard. Des mondes virtuels, qui sont des mondes parallèles, sont créés pour permettre de s’échapper d’une vie réelle plus que difficile. L’arrivée de Méta marque la fin des idéaux, la fin d’un métavers un peu libertarien… »
Instance politique du Crédit Agricole, la Fédération nationale du Crédit Agricole est une association loi 1901. Ses adhérents sont les Caisses régionales, représentées par leurs présidents et leurs directeurs généraux.
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