Face à l’impératif de la transition écologique et à la contrainte de la Loi Zan*, la région Alsace-Vosges explore une voie essentielle pour renouveler son territoire : la reconquête de ses friches. Anciennes zones industrielles, militaires, hospitalières, ces espaces délaissés se révèlent être un gisement de foncier stratégique, transformé par des acteurs locaux en faveur d’un urbanisme plus durable et innovant. La 18e étape des Routes des Transitions à rencontré ceux qui réinventent la ville.
Brownfields, fondée en 2006 par des ingénieurs spécialisés dans le traitement des déchets, se positionne comme un acteur atypique du recyclage foncier, œuvrant pour « reconstruire la ville sur la ville ». « On était ZAN avant l’heure », résume Nicolas Pfister, directeur général adjoint.
Loin des promoteurs classiques, l’entreprise s’attaque aux friches industrielles complexes, combinant désamiantage, démolition et dépollution pour redonner vie à des terrains délaissés.
Leur approche technique, basée sur une triple compétence, le désamiantage, la démolition, la dépollution, s’accompagne d’une maîtrise des montages juridiques complexes. Pour exemple, la reconversion d’une ancienne raffinerie près de Strasbourg où des tonnes de ferraille ont été recyclées et des techniques de phytoépuration expérimentées. Ce modèle s’appuie sur des fonds à impact, témoignant d’un engagement financier spécifique.
Brownfields cultive également une connaissance approfondie du territoire et de ses acteurs, dialoguant en amont avec les collectivités pour concevoir des projets cohérents avec les enjeux locaux. Pour cela, Brownfields engage très en amont un dialogue avec les préfets, les mairies, les agences de développement, les bailleurs sociaux ou encore les chambres d’agriculture. L’exemple de Hoerdt, où un projet de logements a été adapté en zone industrielle pour respecter les souhaits municipaux de ne pas déplacer le cœur de la ville, illustre bien cette approche.
Enfin, l’entreprise accorde une importance particulière à l’histoire des lieux, réhabilitant des bâtiments anciens et préservant des éléments symboliques. Cette démarche, bien que non directement rentable à court terme, contribue à l’âme du projet et s’inscrit dans une vision globale où la transformation des friches devient un acte à la fois technique et porteur de sens. « Il faut regarder la rentabilité globale tout en préservant la mémoire » conclut Nicolas Pfister.
À Mulhouse, l’ancienne friche industrielle KMØ est devenue un symbole de la revitalisation territoriale, conjuguant passé industriel et avenir numérique. Selon le co-fondateur Gérald Cohen, le site agit comme un trait d’union entre ces deux époques, s’appuyant sur un riche héritage où sont nés Alstom et Alcatel. C’est ici que s’est construit la première ligne de chemin de fer internationale en 1839. Cette histoire inspire les nouvelles générations et offre une perspective temporelle essentielle.
KMØ catalyse une dynamique unique en réunissant formations, start-up, PME, ETI et grands groupes dans ses bâtiments réhabilités. Ce lieu favorise les échanges et réduit les distances entre les acteurs, créant une véritable « alchimie ». Avec près de 70 structures, près de 240 emplois directs créés, et un millier de personnes fréquentant quotidiennement le site, KMØ prouve l’attractivité renouvelée de l’industrie.
Né d’une initiative privée, avec un montage initié par une société foncière aux côtés du Crédit Agricole Alsace Vosges et de la Caisse des Dépôts, le projet a surmonté des défis tels que la dépollution et la reconfiguration des espaces, tout en respectant l’histoire du lieu. Le choix de se concentrer sur l’industrie et le numérique, bien que parfois contraignant, a permis de créer des synergies de qualité.
Plus qu’un simple tiers-lieu, KMØ se positionne comme un incubateur de pensée, axé sur le « comment » plutôt que le « pourquoi ». En valorisant l’histoire locale et en projetant l’économie future, le site ambitionne de développer une autonomie de pensée à l’échelle du territoire alsacien, où l’avenir s’écrit en mêlant tradition industrielle et innovation numérique.
À Vogelsheim, une ancienne friche militaire a trouvé une nouvelle vocation en devenant une centrale solaire de 20 hectares, un projet initié par Vialis, une entreprise colmarienne historique née en 1850, spécialisée dans l’énergie. Cette reconversion, inaugurée en 2022, illustre la capacité d’un territoire à transformer ses vestiges du passé en sources d’énergie renouvelable. Selon Benoît Schnell, directeur général de Vialis, le terrain a été proposé par la commune, désireuse de lui trouver une nouvelle utilité.
Le projet a vu l’installation de 41 000 panneaux photovoltaïques, générant une puissance de 22 mégawattheures, capable d’alimenter environ 11 000 foyers (hors chauffage hivernal). Avant cette installation, le site a nécessité un nettoyage minutieux, révélant la présence de 200 kg de résidus militaires, y compris des munitions.
La réussite de cette initiative repose sur un partenariat public-privé solide entre Vialis et Engie. Vialis, une société d’économie mixte, a ainsi pu étendre son engagement au service des collectivités en s’inscrivant pleinement dans sa raison d’être. La commune bénéficie d’un revenu régulier grâce à un bail amphithéotique de 36 ans, soulignant le potentiel économique des friches pour les territoires.
Au-delà des aspects financiers et techniques, ce projet marque un changement d’échelle, passant de la sobriété énergétique à la production locale. Vialis accompagne également les communes dans divers domaines tels que la rénovation thermique et l’autoconsommation collective, fort de son expérience acquise au fil de 180 ans d’adaptation aux enjeux territoriaux.
Pour Benoît Schnell, les friches représentent des opportunités cruciales à saisir dans le contexte de la transition écologique. Il insiste sur l’importance d’une approche à échelle humaine, où les acteurs locaux jouent un rôle essentiel dans la conception et la mise en œuvre de tels projets. La transformation de la friche de Vogelsheim est ainsi plus qu’un simple projet énergétique ; elle symbolise la capacité d’un territoire à valoriser son passé pour construire un avenir durable et ancré dans son histoire.
Face à l’impératif du Zéro Artificialisation Nette (ZAN), le Grand Est transforme la contrainte des 7 000 hectares de friches industrielles, hospitalières et militaires en un levier de transition écologique et économique. Katia Chmielczyk, cheffe de mission Grand Est Transition Compensation, souligne que cette surface équivaut à celle de Strasbourg, représentant une opportunité de « conjuguer plan économique et plan écologique » au lieu d’un frein.
Cependant, la dépollution des sols de ces friches représente un défi financier considérable. Pour accompagner les collectivités et les porteurs de projets, la région a mis en place un dispositif de 35 millions d’euros par an, finançant les études et les travaux jusqu’à un million d’euros par opération. L’enjeu est également d’optimiser la planification de l’utilisation de ces terrains, en identifiant les friches adaptées à la renaturation ou à l’activité économique.
La rareté croissante du foncier et l’augmentation de sa valeur rendent cruciale l’anticipation et l’évaluation du potentiel de chaque site. La région explore de nouveaux modèles économiques pour soutenir la renaturation, dont le coût peut varier de 300 à 800 euros par mètre carré. Face à ces dépenses importantes, l’idée est de mutualiser les moyens en associant financeurs publics et privés autour d’outils financiers hybrides, tels que les contributions carbone et les crédits biodiversité.
L’implication des élus locaux est essentielle, car ils détiennent la maîtrise foncière et peuvent transformer les friches en opportunités. La région agit comme un catalyseur, apportant un soutien technique, une ingénierie de projet et une expertise juridique. Ce rôle de coordination vise à encourager une nouvelle approche de l’aménagement, où l’écologie et l’économie ne s’opposent plus mais se complètent. Le ZAN oblige ainsi à repenser les pratiques et à écrire une nouvelle grammaire de l’aménagement du territoire, en partant des sols pour réinventer les futurs possibles.
*La loi Zéro artificialisation nette (ZAN) du 20 juillet 2023 vise à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols et à répondre aux difficultés de mise en œuvre du ZAN sur le terrain.
Instance politique du Crédit Agricole, la Fédération nationale du Crédit Agricole est une association loi 1901. Ses adhérents sont les Caisses régionales, représentées par leurs présidents et leurs directeurs généraux.
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