En ce début d’année 2025, Isabelle Job Bazille, directrice des Etudes économiques de Crédit Agricole SA nous partage sa vision sur le contexte économique et les perspectives de l’année 2025, ainsi que le scénario qu’elle privilégie.
On anticipe une reprise modérée avec une croissance de 1,1 % en zone euro en 2025, après 0,7 % en 2024. Partout, la désinflation devrait soutenir les revenus réels et, par conséquent, la consommation. Néanmoins, dans le climat d’incertitude ambiant, une partie des gains de pouvoir d’achat pourrait être à nouveau épargnée par des ménages inquiets de l’avenir, ce qui limiterait le rebond de la dépense privée. Avec une inflation proche de sa cible, la Banque centrale européenne va continuer à assouplir sa politique pour atteindre la neutralité monétaire d’ici à la fin de l’année 2025. Des conditions financières plus souples devraient progressivement lever les freins à l’investissement, notamment dans le secteur immobilier, qui est en phase de stabilisation. Du côté des entreprises, la reprise cyclique de la productivité et le ralentissement de la dynamique salariale vont soutenir la profitabilité. Cependant, compte tenu d’une reprise hésitante de la demande, l’attentisme au niveau des décisions d’investissement devrait persister.
Une croissance française inférieure à la moyenne européenne
La croissance française, estimée à 0,8 % en 2025, devrait être inférieure à la moyenne de la zone euro en raison d’un climat de confiance miné par les incertitudes politiques et budgétaires. Les entreprises, en manque de visibilité, sont aujourd’hui tentées de geler leurs décisions d’embauche et d’investissement. Face au poids de l’endettement public et à la perspective d’un alourdissement, jugé inévitable, de la fiscalité, les ménages sont plutôt incités à épargner d’avantage au détriment de la consommation. Alors que ces deux moteurs internes risquent de tourner au ralenti, il semble difficile d’imaginer pouvoir compter sur la demande extérieure comme relais de croissance, dans un environnement international marqué par la montée des barrières protectionnistes. En définitive, plus cette situation d’immobilisme perdure, plus la croissance en portera les stigmates, d’où l’urgence de trouver une issue aux blocages politique et institutionnel.
« La véritable menace pour la France est plutôt celle d’un scénario à l’italienne où la dérive des primes de risque renchérit continuellement le coût de la dette (…) »
Le dérapage répété de nos comptes publics va à l’encontre de nos engagements européens et ce manque de sérieux budgétaire tend à démonétiser la parole de la France au sein de l’Union. De plus, le poids de notre dette nous rend vulnérables aux mouvements de balancier de la finance en cas de désaffection des créanciers étrangers. Cependant, le risque d’un scénario à la grecque est exagéré. Depuis la crise des dettes souveraines, l’Europe s’est dotée d’instruments pour parer l’éventualité d’une crise de liquidité, avec des interventions en dernier ressort de la Banque centrale européenne et des aides sous conditions du Mécanisme Européen de Stabilité. La véritable menace pour la France est plutôt celle d’un scénario à l’italienne où la dérive des primes de risque renchérit continuellement le coût de la dette et nécessite des efforts budgétaires constants pour simplement réussir à stabiliser la dette publique à un niveau élevé, cette stabilisation fragile restant à la merci du moindre choc.
« La géopolitique peut vite, et en permanence, reprendre la main sur le scénario économique »
De son côté, l’élection de Trump consacre la fin d’un monde. L’ordre mondial, bâti après-guerre par et pour les Occidentaux et fondé sur des règles multilatérales, disparaît au profit de rapports de force avec une augmentation de la conflictualité dans les relations internationales. Avec la multiplication d’événements éruptifs et difficilement prévisibles, la géopolitique peut vite, et en permanence, reprendre la main sur le scénario économique. Le retour en force du risque géopolitique signe donc d’une certaine manière la fin du scénario dit « central » à forte probabilité d’occurrence.
Nous nous concentrons de plus en plus sur la modélisation de scénarios « What-If » afin de tester des hypothèses de risques et leurs impacts pour mieux s’y préparer. Cependant, il est illusoire de penser que nous pouvons imaginer tout l’univers des possibles. Il est aussi important de se focaliser sur les tendances de fond à l’œuvre avec une géopolitique mondiale qui façonne, sur le temps long, les politiques économiques et les préférences des agents.
À titre illustratif, l’Europe a prospéré dans un monde de règles et a profité des dividendes de la paix, de l’abondance d’une énergie bon marché et d’un effacement des frontières qui lui a permis de commercer sans entrave. Ce monde-là étant définitivement révolu, l’Europe a adopté une nouvelle boussole stratégique centrée sur la défense, la sécurité et la souveraineté. Elle a également acté d’un changement de paradigme avec notamment le retour en force de la politique industrielle, longtemps éclipsée par la politique de la concurrence. Cependant, à ce jour, aucun consensus n’a émergé sur la manière de financer ces nouvelles ambitions.
« Le programme du Président Trump est intrinsèquement inflationniste et pourrait conduire à un raffermissement du dollar »
La feuille de route du Président Trump se résume en quatre grands axes : des barrières douanières et le retour d’un protectionnisme sécuritaire, des baisses d’impôts pour les plus fortunés et les entreprises, une déréglementation à tout va afin de libérer les énergies entrepreneuriales selon les préceptes libertariens incarnés par Elon Musk, et un contrôle strict de l’immigration, avec une expulsion en masse des immigrés en situation irrégulière.
Ce programme, synonyme de stimulation budgétaire en haut de cycle, de hausse des prix des produits importés et de manque de main-d’œuvre immigrée, est intrinsèquement inflationniste. Ce faisant, la Réserve fédérale américaine pourrait être contrainte de ralentir, voire d’interrompre, son cycle d’assouplissement monétaire. L’élargissement du différentiel de taux entre les États-Unis et l’Europe serait alors propice à un raffermissement supplémentaire du dollar, tandis que l’affaiblissement de l’euro pourrait placer la BCE face à un dilemme en cas de résurgence du risque de stagflation.
Instance politique du Crédit Agricole, la Fédération nationale du Crédit Agricole est une association loi 1901. Ses adhérents sont les Caisses régionales, représentées par leurs présidents et leurs directeurs généraux.
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